Vers une mode plus responsable ? Une mutation encore en chantier

Dans cet épisode, Yann Rivoallan dresse un état des lieux lucide de l’industrie de la mode et de ses paradoxes face à l’urgence environnementale et sociale. Il souligne les résistances structurelles, économiques et culturelles, mais trace une voie vers un changement de modèle plus durable.

Une perte de sens et de valeur

Le président de la Fédération du prêt-à-porter rappelle qu’autrefois, les vêtements étaient durables, réparés, transmis : la qualité allait de pair avec la longévité. Aujourd’hui, ces repères ont disparu, emportés par une course à la consommation dopée par la fast fashion. Un Européen possède 40 % de vêtements de plus qu’il y a 15 ans et les garde deux fois moins longtemps. Le mythe de vêtements enfin « accessibles » à tous grâce à des prix cassés est selon lui à relativiser : « Avant, on s’habillait sans problème, sans surconsommer. »

Seconde main : entre recyclage et spirale consumériste

Rivoallan nuance les vertus de la seconde main : elle pollue peu, mais joue un rôle « d’aspirateur » pour la fast-fashion, en permettant d’échanger des produits acquis à bas prix. Par ailleurs, à la différence des plateformes de fast-fashion, le ressenti de la seconde main reste dégradant pour les classes populaires, qui récupèrent les produits achetés neufs par de plus aisés. Les plateformes Temu et Shein offrent en revanche un sentiment d’abondance, la possibilité « de s’habiller comme un milliardaire », contre lequel il est difficile de lutter.

Mieux mesurer l’impact : l’enjeu de l’écobalise

Pour guider les consommateurs, une “écobalise” pourrait jouer un rôle clé, en quantifiant l’impact environnemental des produits. Exemple frappant : un pull en laine pollue davantage à produire qu’un vêtement en polyester, mais il offre durabilité, confort et qualité bien supérieurs. Avec l’écobalise, l’enjeu est de permettre de comprendre ce qui se cache derrière la pollution d’un vêtement, d’en donner une vision objective. Cet outil, aujourd’hui fondé sur le volontariat, pourrait aussi servir de levier de communication pour les marques responsables. Sans toutefois bouleverser, les critères d’achat dominants : prix et image de marque restent prioritaires ; ce qui implique d’agir aussi sur la réglementation pour protéger les acteurs nationaux.

Bonus-malus, pub, relocalisation : leviers pour une transformation systémique

Alors qu’une loi contre l’ultra-fast-fashion est en discussion, Yann Rivoallan dénonce les puissants lobbys à l’oeuvre, évoquant une campagne d’influence menée par Shein. Face à cette mobilisation, les marques françaises tentent de faire entendre leur voix. Il faut protéger nos entreprises car les plateformes chinoises sont avant tout des aspirateurs à data et à créativité, qui volent chaque jour la propriété intellectuelle d’acteurs français, copient les modèles, reprennent même les images. Yann Rivoallan soutient des mesures ambitieuses : bonus-malus en fonction de l’impact des marques, restriction de la publicité pour les produits les plus polluants, définition plus stricte de l’ultra-fast-fashion (ex. limitation du nombre de nouvelles références/jour). La relocalisation est un autre pilier essentiel. Produire en Europe, où les conditions sociales sont plus dignes, n’est viable que si les vêtements durent plus longtemps – ce qui rejoint l’enjeu d’une premiumisation responsable, à l’image de Patagonia.

Changer la pyramide de la mode

Le modèle pyramidal de la mode est en crise : le luxe s’est élargi, le milieu de gamme est fragilisé, et le bas de gamme s’est radicalisé avec Temu et consorts. Pour Rivoallan, l’enjeu RSE est de rendre accessible des produits durables, à la fois premium dans leur conception, mais abordables grâce à leur longévité. Pour accompagner les marques dans cette transformation, aller plus loin dans la durabilité, gagner des parts de marché à l’international, il est nécessaire de créer un vrai écosystème de la mode.

Quelques marques et initiatives françaises à suivre :

  • Royal Mer, fabricant de pulls dans la lignée de Saint James,
  • Loom, avec ses produits simples et durables,
  • Tara Jarmon ou Zapa, qui relocalisent avec exigence,
  • Promod, en rupture avec le moyen de gamme standardisé,
  • ou encore Avnier, la marque d’Orelsan.