RSE et performance : la fin d’un faux dilemme ?

Rentable et responsable : et si on arrêtait d’opposer les deux ?

La transition ne se décrète pas, elle se construit. Et pour qu’elle prenne corps, elle doit s’ancrer dans les réalités business. C’est la conviction partagée par Grégory Sion (CEO de Pierre & Vacances Europe) et Julien Sylvain (fondateur de Tediber), deux dirigeants aux parcours très différents, mais unis par une même certitude : l’impact peut (et doit) rimer avec performance.

Réunis sur scène, ils ont croisé leurs expériences et éclairé les chemins possibles d’un business responsable et désirable. Une discussion entre retours terrain, arbitrages concrets et visions de long terme, orchestrée par Frédéric Mazzella, entrepreneur et porte-voix de l’innovation responsable, et Emilie Kovacs, rédactrice en chef de The Good.

Quand l’innovation part d’un goulot d’étranglement…

L’innovation en RSE n’est pas antinomique des réalités du business. Elle peut même survenir d’une problématique sectorielle. Chez Pierre & Vacances, une offre qui a fait grand bruit est partie d’un des fameux embouteillages du samedi vers les sommets : 3h d’attente au pied des montagnes pour pouvoir accéder aux stations. Résultat : l’opération “Les Dimanchistes”, une refonte de l’offre avec 25 % des séjours démarrant le dimanche. Moins de CO2, plus de satisfaction client. “Une innovation contrainte, née d’un problème concret, qui fait du bien à tout le monde”, résume Grégory Sion.

 

La firme, très présente dans les stations de ski, doit notamment faire face aux impacts du réchauffement qu’elle anticipe déjà : « Nous travaillons depuis 4 ans, main dans la main avec les collectivités, à ce que la montagne devienne une destination d’été hype ». Un véritable potentiel de croissance, qui correspond aux attentes des gens : des vacances plus respectueuses de l’environnement, qui permettent aux gens de se reconnecter avec la nature sans partir au bout du monde. Un mouvement qui s’accompagne d’une diversification dans d’autres destinations en Europe – Italie, Portugal… – pour réduire le risque.

Une approche qui fait écho à celle de Blablacar, qui se renforce dans l’intermodalité :« Offrir la possibilité de faire les longs trajets en TGV et les derniers kilomètres en covoiturage, par exemple », note Frédéric Mazzella.

L’éco-conception, levier industriel (et de différenciation)

Chez Tedber, l’enjeu est ailleurs, mais tout aussi lié aux résultats : rendre le matelas réparable, plus durable, donc plus accessible. « Changer une housse ou une couche d’accueil plutôt que tout jeter, c’est 10 à 15 ans de durée de vie en plus », explique Julien Sylvain. Un défi industriel pour une jeune marque perçue comme s’adressant à une clientèle aisée, qui cherche aujourd’hui à aller vers un meilleur rapport qualité/prix – bonus écologique inclus, grâce à une éco-conception pensée en profondeur. « Au début, c’est difficile, on commence avec de petits volumes, puis on accélère », commente l’entrepreneur qui vise à devenir un “Patagonia du matelas” d’ici 10 ans.

Vers une mesure plus fine de l’impact : informer et inciter le consommateur Dans ce mouvement vers une consommation plus vertueuse, la question des indicateurs - affichage environnemental, poids carbone des produits, indice de réparabilité… - joue un rôle crucial, souligne Frédéric Mazzella. « Le secteur du meuble avance, et celui de la literie doit suivre », plaide Julien Sylvain, qui estime que « dans 4-5 ans, on aura dans notre industrie les standards qu’on a dans l’automobile ». Un matelas Tediber émet aujourd’hui en moyenne 25 % de CO₂ en moins que la moyenne, grâce à une fabrication locale (en Auvergne) et des matériaux sourcés.

Chez Pierre & Vacances, le cheval de bataille principal, c’est le transport : 70 % de l’empreinte carbone d’un séjour. En réponse, le groupe met en place des partenariats avec Tictactrip, la SNCF… développe les bornes électriques dans ses hébergements, ou offre de petits bonus pour les clients écoresponsables. « On veut faciliter les bons choix, sans les imposer », indique Grégory Sion.

RSE = transformation collective

Chez Pierre & Vacances comme chez Tediber, les nouvelles solutions RSE naissent du collectif : collaborateurs jouent un rôle central dans la production d’idées créatives et l’émulation au sein des équipes. « Echanger en visio ou autour de la machine à café, ça fait du bien, ça crée du lien », estime Grégory Sion, qui souligne que l’offre télétravail, qui avait avait relancé l’entreprise en sortie de Covid, est partie de là.

Embarquer les parties prenantes Les deux dirigeants insistent aussi sur la nécessité d’embarquer les parties prenantes : fournisseurs, collectivités, clients… Chez Tediber, cela passe par beaucoup de pédagogie : « On passe beaucoup de temps à expliquer notre projet, en quoi c’est important, pourquoi ça peut profiter au business model ». L’entreprise joue un rôle moteur dans la création d’une filière laine française, quasi-inexistante aujourd’hui.

Chez Pierre & Vacances, le mot d’ordre est de montrer qu’avoir des « comportements plus respectueux de l’environnement, ça ne coûte pas plus cher, voire un peu moins cher ». Le groupe a notamment travaillé, avec ses partenaires à réduire le plastique dans le linge, sur l’ameublement avec l’éco-conception de mobilier (ex : une table en matière recyclée produite localement au coût d’un équivalent chinois) ou des rénovations énergétiques intelligentes, comme à Avoriaz, en faisant travailler les entrepreneurs locaux et en collaboration avec les collectivités. Il y a également tout un travail de tissage de liens avec les acteurs locaux pour travailler ensemble à valoriser les destinations, les territoires.

Social et engagement de terrain

La RSE ne se limite pas à l’écologie. Chez Tediber, les matelas usagés sont reconditionnés en atelier et offerts à Emmaüs. Chez Pierre & Vacances, une fondation permet à des publics précaires de partir en vacances. Ces pojets trouvent un écho dans l’initiative Dift, lancée par Frédéric Mazzella, qui vise à révolutionner le financement de projets à impact par les entreprises. Un don solidaire, digital et instantané, reçu en cadeau par les collaborateurs qui peuvent les allouer à des projets de leur choix sur la plateforme Dift. L’idée est de permettre aux entreprises de rediriger leurs budgets marketing traditionnels vers des causes sociales et environnementales tout en impliquant clients et collaborateurs.

Chez Pierre & Vacances, comme chez Tediber, bien que de manière très différente, les collaborateurs sont aussi au coeur du modèle : chez Tediber, les 80 employés sont associés au capital, dans un esprit startup, et donc intéressés aux résultats. Chez Pierre &Vacances, on cherche à attirer les talents en leur permettant de profiter de l’offre d’hébergement grâce à des séjours gratuits, qui permettent aux équipes de bien connaître l’offre. “On fait du tourisme, on doit donner envie”, rappelle Grégory Sion.

Quels conseils aux décideurs ?

Tester, écouter, s’amuser. C’est le triptyque de Grégory Sion. « Se fixer des objectifs raisonnables, c’est la meilleure façon de les atteindre ; écouter ses équipes, les embarquer ; tester beaucoup et ne pas s’ennuyer », conseille-t-il, soulignant que le sujet passionne, en particulier les jeunes.

Pour Julien Sylvain, tout commence par “bien s’entourer, bien se former, et garder la petite flamme”. Il ne s’agit pas de « faire un peu mieux que les concurrents, mais de penser comment on va réinventer son industrie, avoir un impact ; c’est comme ça que nous avons identifié la laine comme matériau à haut potentiel », explique-t-il.

Frédéric Mazzella complète : « Aligner ce qu’on ressent et ce qu’on sait, s’attaquer à ce que l’on comprend moins bien. C’est là que naît l’innovation. »